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[Dossier] Arts & IA: les machines vont-elles remplacer les artistes?

Oeuvre collaborative créée par deux designers graphiques de la SAT. Une image a été générée avec une IA et par la suite, l’image dystopique a été retravaillée manuellement.

L’intelligence artificielle (IA) nous fascine, tout en nous inspirant la crainte d’un futur déshumanisé, où même les artistes seraient remplacé·e·s par des robots.

Dans une optique de partage des idées qui circulent entre ses murs, la SAT ouvre le débat avec ce dossier spécial sur les arts et l’IA. Nous avons demandé à des artistes et chercheurs de la SAT d’exprimer leur point de vue sur le sujet et de raconter leur expérience avec l’intelligence artificielle. Ce dossier inédit vous permettra de plonger au cœur de développements technologiques et de créations artistiques repoussant les frontières de l’imagination.

 

L’intelligence artificielle est capable de réaliser des prouesses étonnantes. Des compositions musicales, des textes littéraires, des poèmes et même des scénarios de film peuvent être générés par des algorithmes plus ou moins autonomes. Mais une machine est-elle capable de créer une véritable œuvre d’art? C’est un sujet en soi pour les artistes.

L’intégration croissante de l’IA entraîne des transformations dans le domaine de l’art, notamment en redéfinissant les notions de créativité et d’auteur. Par exemple, l’utilisation de réseaux de neurones pour générer des œuvres d’art génératives remet en question le concept traditionnel de l’auteur unique et soulève des questions sur la propriété intellectuelle. 

Le marché de l’art est également affecté par cette petite révolution, avec de nouvelles modalités telles que les ventes aux enchères d’œuvres d’art génératives ou l’utilisation de l’IA pour prédire les tendances artistiques. Ces développements suscitent des discussions sur la valeur artistique, l’authenticité et la commercialisation de l’art.

Deus ex machina

Si les algorithmes peuvent facilement imiter des œuvres d’art traditionnelles, l’idée d’une machine capable de générer des chefs-d’œuvre de manière autonome questionne la nature même de la création et de l’œuvre d’art.

Le mythe de la machine créatrice est un thème prospère dans le domaine des arts numériques. Certains projets artistiques visent à rendre la machine autonome afin de la faire reconnaître comme artiste à part entière. Cependant, à partir de quel moment considère-t-on une création comme de l’art? Suffit-il que l’expérience procure des émotions? Comment une machine dépourvue d’émotions pourrait-elle faire ressentir des émotions à un humain? La philosophie des arts numériques se penche déjà sur ces questions qui évoquent le test de Turing permettant de qualifier une machine de consciente.

Empty Vessels: une performance de violoncelles robotiques contrôlés par intelligence artificielle

Empty Vessels est une œuvre d'art qui illustre les possibilités de l'intelligence artificielle dans le domaine de la création musicale, tout en soulignant les défis éthiques associés à cette technologie.

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Photo: Sébastien Roy

Les prémices

Présentée dans le dôme de la SAT en 2022, cette performance de violoncelles robotiques contrôlés par intelligence artificielle a été créée par David Gardener de Montreal Life Support et Greg Debicki de Woulg. Création audiovisuelle d'une complexité unique, Empty Vessels fusionne la robotique, les réseaux de neurones, l'instrumentation classique et la métaphysique expérimentale, pour explorer comment une IA robotique pourrait jouer un concerto de violoncelles de manière autonome. Trois structures robotiques sophistiquées conçues pour jouer de manière synchronisée, manient des violoncelles placés au centre de l'installation. Reliés entre eux par un réseau d'algorithmes, ces automates composent indépendamment des harmonies évolutives mais synthétiques, transcendant les artistes mêmes qui leur ont donné vie.
Empty Vessels in Distress - PAN M 360

À travers des lignes de code, les interprètes robotiques parviennent finalement à faire ressentir au public des émotions et de l’empathie avec leurs gestes évoquant ceux d’un enfant apprenant, naïvement et parfois maladroitement, à maîtriser son nouvel instrument.

En entrevue avec la revue numérique The Link, Greg Debicki fait remarquer que chaque nouvelle collaboration entre un médium et une IA apporte son lot de complications ainsi que de nouvelles voies pour la musique et l’art. Les technologies telles que l’IA élargissent le processus créatif. « C’est un terrain vraiment fertile pour l’expérimentation » (citation traduite de l’anglais), a-t-il déclaré au magazine.

PIECED: un environnement architectural généré à l’aide de l’intelligence artificielle

Présenté au SAT Fest 2021, le court métrage immersif PIECED de Sean Caruso et Mourad Bennacer utilise l'intelligence artificielle pour générer un environnement architectural 360° en format fulldome.

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Photo: Sébastien Roy

Une nouvelle forme d'art

L’utilisation de l’intelligence artificielle dans les applications artistiques est en plein essor. Il existe aujourd’hui de nombreux outils d’IA pour assister les artistes à différentes étapes du processus de production, qu’il s’agisse de simplifier des tâches fastidieuses ou de générer des créations numériques complètement nouvelles et surprenantes. L’apprentissage automatique (machine learning) est un domaine de recherche de l’intelligence artificielle. Pour ce projet, les artistes ont entre autres utilisé Runway ML, une plateforme permettant d’entraîner ses propres modèles. Le terme « modèle » fait référence au résultat de la formation d’un algorithme d’apprentissage automatique avec un ensemble de données. Un algorithme d’apprentissage automatique trouve des motifs dans les données et développe ses propres règles sur la manière de représenter – ou de modéliser – ces motifs pour effectuer une tâche précise. Les règles ne sont pas conçues par des humains ; elles sont apprises à partir des données sur lesquelles le modèle a été formé. Les modèles peuvent être élaborés dans différents langages de programmation, avec différentes infrastructures logicielles et pour différents objectifs, comme la détection des spams, la classification des objets, l’édition d’images et de vidéos, et la captation de mouvements.
Générer des environnements fulldome
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Photo: Sébastien Roy

La collecte de données

Dans le cas de PIECED, les artistes ont entraîné un modèle pour générer des images de façades architecturales formé à partir de milliers de photos de bâtiments montréalais capturées en 360° par Sean, tout en respectant les attributs géométriques et la perspective du format dôme. « Ce qui nous a paru intéressant, qui nous a poussé à en faire un film, c'est le morphing. C'est le fait que l'image se transforme [ continuellement ] et ça reproduit un peu la mécanique du rêve. [...] plus on avance dans le film, plus la métamorphose qui suit la musique amène justement à recréer un environnement réel », confie Mourad Bennacer qui est aussi responsable des résidences artistiques à la SAT. Une autre problématique qui se rattache à l’exploitation de l’IA, c’est de savoir quelle portion de ce que l’on crée avec cette technologie nous appartient. À cela, l’artiste ajoute que lorsque « tu travailles avec un outil 3D, Blender [par exemple], est-ce que tu le mets dans les crédits? » Le processus de création, même assisté par IA, requiert l’intervention de l’artiste à toutes les étapes : « On entraîne un modèle avec des données qui sont déjà là, qu’on est allé capturer, donc il y a toute une notion de créer le set de données initiales… Et de créer une intention aussi parce qu’on ne fait pas un set de données juste en mettant ses photos de vacances, il faut qu’il y ait quand même une vision. »
PIECED - IDFA 2021

Vers des technologies plus inclusives

Le développement de l’intelligence artificielle soulève de nombreux enjeux éthiques, notamment les biais racistes, sexistes et discriminatoires des algorithmes, qui constituent des problèmes majeurs. En tant que produits de la société, les systèmes d’IA sont entraînés sur des ensembles de données qui reflètent les préjugés et les inégalités existantes. Cela se traduit souvent par des décisions automatisées qui favorisent certains groupes tout en marginalisant d’autres, renforçant ainsi les stéréotypes et les discriminations.

Le problème se pose en particulier pour les technologies de reconnaissance faciale. Les ensembles de données utilisés pour l’entraînement de ces algorithmes comportent une représentation insuffisante de certaines populations, ce qui entraîne des erreurs de reconnaissance plus fréquentes, en particulier les personnes à la peau plus foncée, les femmes ou d’autres minorités qui sont plus susceptibles d’être mal identifiées.

En mai 2023, la Fondation Mozilla basée à San Francisco a organisé le Responsable AI Challenge, un concours visant à encourager la création de contenus responsables et éthiques. Des membres de l’équipe R&D de la SAT y ont présenté LivePose Portal, une technologie de reconnaissance de mouvements pour des installations interactives, qui permet au public d’entraîner l’IA en participant avec ses propres gestes. Le Metalab vise ainsi à rendre la technologie de détection plus inclusive, grâce à un ensemble de données plus représentatif de la diversité corporelle.

« Le projet LivePose Portal a pour but de démocratiser les arts numériques en permettant d’entraîner à la fois le modèle d’apprentissage profond et les personnes avant de rentrer dans l’œuvre numérique », partage Victor Rios, chercheur stagiaire au Metalab.

LivePose Portal pour MegaCeta

Cette technologie de reconnaissance de mouvements développée par la SAT est utilisée dans un projet d’expérience muséale interactive utilisant l’intelligence artificielle. Conçue en partenariat avec le studio montréalais Creo, l’expérience immersive pédagogique baptisée MegaCeta invite les visiteurs à jouer avec des baleines afin de susciter l’apprentissage par le geste de ces mammifères marins. Victor explique comment l’utilisation du système d’intelligence artificielle de LivePose permet d’amplifier l’expérience immersive : « Avec le machine learning, une détection large est faite pour mémoriser les actions de plusieurs personnes dans le temps afin de reproduire ces données sur des baleines virtuelles et rendre l’expérience beaucoup plus interactive. »
Voir l'oeuvre

Un nouveau terrain de jeu à explorer pour les artistes

L’intelligence artificielle offre aux artistes un terrain de jeu riche en opportunités créatives. Les artistes peuvent désormais expérimenter avec l’IA pour enrichir leur processus de création, analyser des données, générer des contenus et interagir avec le public d’une manière totalement nouvelle. Les arts numériques se transforment et présentent de nouvelles facettes dont il est encore difficile de distinguer les contours.

Afin d’apprivoiser ces nouveaux outils, la SAT propose un cours d’introduction sur l’IA et les arts présenté par Marek Blottière, chargé de projet R&D et titulaire d’une maîtrise en études culturelles et numériques. Cet atelier s’intéresse aux enjeux liés au croisement de l’art et de l’IA et aux différentes transformations qui sont à l’œuvre, dans le but de développer une compréhension critique des opportunités et des limites de l’IA.

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