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Entrevue avec France Jobin & Markus Heckmann

 

La SAT a eu le plaisir de s’entretenir avec ses artistes en résidence France Jobin, artiste du son, de l’installation, compositrice de films et commissaire d’exposition, résidant à Montréal, et Markus Heckmann, artiste visuel et directeur technique chez Derivative à Toronto.

Faisant partie de la Série Satosphère présentée dans le cadre du festival MUTEK, leur œuvre immersive Entanglement explore et transforme les théories de la physique quantique en une expérience sensorielle saisissante. 

Leur travail sera présenté le 26 août dans le dôme de la SAT. 

La Société des arts technologiques (SAT) est un laboratoire de recherche et création ouvert sur le monde qui multiplie les possibles technologiques, l’hybridation des réalités et des disciplines artistiques. Son programme de résidence vise à accompagner des projets novateurs vers leur réalisation, en apportant aux équipes artistiques le soutien nécessaire à leur avancement dans une ou plusieurs phases de création.

[Cette entrevue s’est originellement conduite en anglais; lisez-la ici]

 

 

SAT: Comment et quand vos deux pratiques artistiques se sont-elles rejointes ?

Nous avons commencé à travailler ensemble avec Richard Chartier en 2019 sur notre projet intitulé DUO, qui a été présenté pour la première fois à Mutek Montréal et a tourné jusqu’à ce que la pandémie mette fin à la plupart des choses. France a vu cela comme une opportunité d’étudier la physique quantique et elle avait déjà approché Markus à ce sujet. Une fois qu’elle s’est sentie suffisamment à l’aise dans ses études, France a commencé à partager ses découvertes avec Markus qui, à son tour, l’a nourri de nouvelles lectures. Cela a alimenté notre imagination et nous avons commencé à travailler ensemble sur une démo. France a créé la musique et Markus a créé les visuels. Nous sommes partis de là et avons continué. Cette collaboration est assez simple et facile à vivre. Nos approches se rejoignent grâce à une appréciation commune du minimalisme et à notre intérêt pour divers sujets, nous sommes tous les deux curieux·euse!

 

SAT: Votre projet se propose d’explorer artistiquement deux théories dominantes expliquant l’intrication quantique. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre approche ?

Notre approche est simple: nous essayons d’interpréter des théories complexes afin d’offrir au public une expérience qui lui permette d’apprécier l’œuvre sans connaissances scientifiques préalables. Si ielles ont des connaissances scientifiques, nous sommes heureux de converser avec eux et elles! En général, nous communiquons des idées et laissons aux spectateur·trice·s le soin de les interpréter à partir de leur propre horizon d’expérience. Une personne ayant des connaissances spécifiques sur le sujet abordera l’exposition de manière très différente d’une personne émerveillée, mais nous espérons que les deux en retireront quelque chose. Nous avons tous deux abordé ce sujet différemment. France a approfondi pendant deux ans la matière scientifique qui se reflète profondément dans la musique, tandis que Markus s’est nourri des recherches de France et s’est penché sur les tensions que l’interprétation de ces découvertes a entraînées.

Voici un exemple concret: La fluidité du temps n’existe pas en physique quantique. Comment interpréter ce concept alors que nous utilisons tous deux des médias basés sur le temps? C’est une idée complexe que nous avons réussi à explorer, en créant à la fois des images et de la musique, en superposant les deux afin de donner l’illusion d’une absence de mouvement. Nous avons affaire à des idées qui doivent être interprétées, mais qui n’ont pas de chemin direct vers la sonification et la visualisation.

 

 

SAT: Il s’agit du troisième chapitre de votre projet, pour lequel vous avez déjà exploré la performance A/V sur écran et le XR sur casque (présenté dans le cadre de la MUTEK Immersive Collection). Qu’est-ce qui vous a poussé à adapter votre travail à un dôme?

Si l’on prend une performance audiovisuelle, on est limité à un écran 2D dont la taille est déterminée par ce qui est disponible, donc on a un gros son et des visuels restreints joués devant un large public. Le projet XR nous a donné l’occasion d’explorer l’inverse: on est entouré de visuels tandis que le son est limité au casque Oculus et nous créons l’expérience pour une seule personne à la fois, ce qui est un élément important car il en résulte une expérience intime. Explorer ce projet en tant que présentation sous dôme nous donne l’occasion d’étudier un son et des images de grande taille pour un public qui sera assis ou allongé, ce qui implique une concentration totale de sa part. C’est l’occasion pour nous de pousser notre exploration dans un autre domaine de la physique quantique, la théorie quantique des champs.

Dans le dôme, le défi consistera à recréer le sentiment d’intimité de la version XR tout en faisant en sorte que l’expérience reste collective.

L’emplacement est un élément tout aussi important. Quel que soit l’endroit où l’on est assis, la performance sera différente sur le plan sonore et visuel. Cela nous ramène à la question de l’enchevêtrement. Les spectateur·trice·s seront lié·e·s les un·es aux autres, mais ielles vivront tous une expérience différente selon l’endroit où ielles seront assis·es.

 

SAT: Avez-vous consulté ou interagi avec la communauté scientifique lors de la conception de ce projet ?

Oui, France a eu un mentor pour ses études, Richard D. Brown du Royaume-Uni, et plus tard, nous avons rencontré Sebastián Duque Mesa lors de la première de la collection immersive de Mutek à Mutek 2022. À l’automne 2022, lorsque France s’est rendue à Dresde pour rencontrer Markus et présenter Entanglement AV à Hellerau, elle a rencontré Tatsukiko Ikeda, une physicienne japonaise. Nous avons revu Tatsuhiko à Tokyo en décembre 2022 et en février 2023, Sebastián nous a invités à présenter Entanglement XR à Toronto à Xanadu, où il travaille, et où nous avons eu de grandes conversations avec des physiciens, des ingénieurs et des concepteurs. Ces interactions sont importantes pour nous car elles nous maintiennent en éveil sur le plan de l’acuité scientifique et, dans un cas, nous avons complètement changé de cap au cours d’une conversation de 5 minutes :-).

 

SAT: Quelle expérience souhaitez-vous transmettre au public?

Nous espérons créer une expérience au cours de laquelle le public se perdra, perdra la notion du temps et se laissera aller. La performance sera peut-être une traduction de nos intérêts et de nos curiosités.

 

SAT: Pouvez-vous nous parler de la dynamique de votre collaboration artistique sur ce projet ?

Il s’agit d’une collaboration simple, sans “drama”, qui coule de source…

 

SAT: Quelles sont vos plus grandes influences actuelles, visuelles et musicales ?

FJ: e suis plus influencé par les concepts que par la musique, mais j’écoute tout, de Miles Davis à Coltrane en passant par Atomtm, Richard Chartier, Andy Stott, Barker, Basinski et Curtist Mayfield. Dans les installations et les concerts, par exemple, je positionne les haut-parleurs de manière spécifique pour répondre à l’architecture, créant ainsi une sculpture sonore sans qu’il s’agisse d’un objet absolu. Il s’agit plutôt de présenter une œuvre qui est différente de ce que l’on entend, en fonction de l’endroit où l’on se trouve dans l’espace. Il s’agit plutôt de présenter une œuvre dont le son n’est pas absolu, mais plutôt auditivement mutable en fonction de l’endroit où l’on se trouve dans l’espace. 

MH: En ce qui concerne les visuels, l’inspiration vient d’une exploration constante de ce que l’on entend, de ce que l’on voit et de ce que l’on expérimente – c’est peut-être là où les différentes sensations ” concordent ” que se trouve l’endroit idéal pour l’inspiration, qui peut donc venir de n’importe quelle direction. Bien sûr, l’exposition passée joue un rôle important et c’est là qu’une certaine dose de minimalisme mélangée à la complexité et à la simplicité peut être retracée.

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