A l’occasion du 24 heures de science 2010, la Société des arts technologiques [SAT], l’ETS, ABB et ONOBOTS font converger art et technologie à un autre niveau avec l’événement WE ARE ROBOTS, suivez l’évolution du projet!
Par Edouard Arnaud, assistant de projet SAT[création]
Nuit de musique électronique avec performance chorégraphique pour robots industriels.
Au mois de mai 2009, l’École de technologie supérieure et la Société des arts technologiques s’étaient déjà associées pour présenter Toonloop Remix, un kiosque d’animation image par image en direct développé par Alexandre Quessy dont les visuels étaient remixés par VJ jocool de SAT[MixseSsions].
Cette année encore, à l’occasion du 24 heures de science, cette collaboration reprendra lors de l’événement WE ARE ROBOTS qui réunira l’art et la technologie dans le grand hall de l’ÉTS. Le projet inclut une chorégraphie originale de robots industriels par Manon Oligny sur la musique de Jan Pienkowski, spécialement conçue pour l’événement. L’actuel travail de chorégraphie et de programmation des robots se soldera, le 7 mai prochain, par une véritable performance de danse effectuée par des robots industriels sur la thématique de La fabrique de Canards en après-midi pour un jeune public, puis par une érotisation de ceux-ci au cours de la performance ERO_BOTS, préenté en soirée pendant WE ARE ROBOTS sur les rythmes de la musique électronique d’AKUFEN, Stephen Beaupré et de Jan Pienkowski le tout sur les visuels des VJs jocool et Pink Rubber Lady.
L’événement WE ARE ROBOTS se présentera ainsi sous la forme d’un show de musique électronique d’une part, et d’une chorégraphie de robots industriels d’autre part, offrant ainsi un clin d’oeil aux vitrines de peep show d’Amsterdam.
Le concepteur musical Jan Pienkowski, au-delà de sa participation en tant que DJ à WE ARE ROBOTS, a créé et composé la musique originale des chorégraphies qui sera jouée en direct au cours de la prestation. Celle-ci sera synchronisée avec les mouvements des robots qui sont segmentés en blocs. Cette synchronisation n’a pas été évidente et a nécessité la mise en place d’un système de communication informatique particulier pour que les machines reçoivent les messages MIDI gérés par l’ordinateur du musicien.
La danse des robots quant à elle prend un tout autre aspect. La chorégraphie menée par Manon Oligny est influencée par la musique de Jan Pienkowski, mais aussi par l’imaginaire de l’artiste et sa propension à deviner autre chose que ce qu’un robot peut laisser transparaître. Artiste qui doit, à cette occasion, frotter sa sensibilité au langage mathématique de la programmation robotique. Ainsi, ce sont d’abord en oiseaux que ces machines se métamorphoseront lors de la chorégraphie La fabrique de canards. Enfin, avec ERO_BOTS ces mêmes automates seront animés de telle sorte qu’on pourra y découvrir un spectacle de danse quelque peu licencieux : là où certains n’y voient qu’un bras raide, automatique et mécanique, on discernera, à la manière d’un spectacle de peep show, une jambe pouvant se courber, gondoler même, et se cambrer pour un french cancan énergique. Ici, les glaces sobres et froides derrière lesquelles sont installés les robots se transformeront, le temps d’une nuit, en vitrines brûlantes du Quartier Rouge d’Amsterdam.
Le défi est de taille pour Manon Oligny, chorégraphe de ce projet, et pour Yanick Noiseux, programmeur pour l’ÉTS, qui doivent tous deux trouver le moyen de s’accorder sur les mouvements que doit effectuer le robot afin de faire entrer le public dans l’imaginaire de la chorégraphe, de lui faire oublier un instant qu’il a affaire à un robot.
Comment deux professionnels dont les sphères d’activités semblent si éloignées peuvent-ils développer un langage commun pour animaliser et humaniser une chose aussi loin du vivant ? Comment écrire une telle chorégraphie quand, au premier abord, les deux collaborateurs abordent leur sujet par des voies et techniques a priori incompatibles ?
Quand on l’interroge sur la différence qu’il y a à travailler avec un corps humain et un bras mécanique, Manon Oligny, dont c’est la première expérience de chorégraphie de robot, fait part de son habitude à écrire en fonction des mouvements d’un être humain et de la difficile adaptation quant à la compréhension du fonctionnement d’un robot, de sa vitesse, de ses articulations, de son axe principal et de ses multiples pivots, qui n’ont rien d’humain. Car si le robot est programmé pour effectuer de façon raide et sèche les mouvements les plus rapides et efficaces qui soient, la volonté de Manon Oligny et de Yanick Noiseux est d’aller à l’encontre de ce type de manœuvre, et paradoxalement, de « dénaturer » le robot.
Mais ce projet n’est pas uniquement le fruit de créateurs : c’est avant tout un travail d’équipe permis par la SAT qui a passé commande aux artistes et stimulé la collaboration et la recherche avec l’ÉTS. La SAT, particulièrement à travers son secteur [création] a donc déjà servi de tremplin à ce type de projet fantaisiste, en réunissant différents acteurs et en leur offrant un terrain d’expérimentations et de recherches, à l’instar de ses programmes de résidences et autres productions : c’est en effet la SAT et [mixsessions] qui ont soutenu les soirées WE ARE ROBOTS de Jan Pienkowski ; Manon Oligny a elle aussi pu trouver un terrain d’exploration en résidence à la SAT, notamment avec l’Ecurie, mais aussi avec TRANSAT[contamine] et son esprit de « contamination positive », projet d’échanges croisés entre artistes belges et québécois, qu’elle coordonne.
Dans le Dictionnaire des arts médiatiques, sous la direction de Louise Poissant, un robot se définit comme un appareil automatique conçu pour effectuer une tâche normalement exécutée par un être humain. Le terme est tiré d’une pièce de théâtre tchèque où le mot “robota” (= travail obligatoire) est employé pour designer un “ouvrier artificiel”. Le robot de l’industrie n’a pas l’apparence humaine ; son rôle est strictement fonctionnel.
Afin de faire fonctionner ce robot, il convient de lui imposer des mouvements obligatoires à l’aide d’un programme, suite d’instructions rédigées dans un langage informatique, permettant à l’ordinateur d’effectuer une tâche.
La combinaison de l’esthétique particulière de la danse avec la rigidité déconcertante de la « physionomie » robotique dans le cadre d’une création artistique semble susciter le débat. A peine les premières photos du travail de Manon Oligny et de Yanick Noiseux sont elles mises en ligne que s’engage une discussion sur les moyens et les fins de la création artistique, et de l’art en général. On y soulève les problématiques très larges de la beauté dans l’art, de l’évolution de celui-ci, voire de son renouvellement : « l’Art est fluide et vivant. Il se doit d’évoluer avec la technologie » mais d’un autre côté, on s’interroge sur la place de l’art entre la question esthétique et la technologie, entre la création et l’expérimentation. « L’homme des cavernes qui faisait ses fresques de chasse dans les parois de grottes en voudrait-il à Picasso d’avoir utilisé un pinceau et aux peintres du mouvement hyper-réaliste d’avoir utilisé la photographie ? ».
Parmi les articles du périodique électronique Archée qui cherche à faire valoir la cyberculture artistique, on peut trouver l’article Introduction à la techno-esthétique (Ludovic Duhem, février 2010, section cyberthéorie). Loin de vouloir donner une définition stricte et exacte de ce qu’est la techno-esthétique, l’auteur, dans ce texte, pose la question simple mais obscure du rapport entre l’esthétique et la technique en traversant les questions toutes aussi saillantes sur la technique elle-même : « la technique en quel sens ? La technique comme mode de production, de fabrication, de médiation de l’homme dans son rapport au monde ? Ou encore : la technique comme condition, moyen, finalité de toute activité humaine, y compris celle de la pensée, de l’imagination, de la création ? ».
L’association spécifique de la robotique avec la danse n’est pas si singulière pour autant. Des créations artistiques mêlant ces deux médiums a déjà vu le jour sous différents aspects, ne serait-ce que pour un hommage electro à Daft Punk. C’est aussi le cas pour Bill Vorn, artiste des médias qui travaille depuis 1992 sur l’art robotique. Les robots de Bill Vorn se comportent eux aussi comme des êtres vivants qui semblent transmettre leur vécu au public. Comme il le dit lui même, «En créant cet univers de fausses réalités chargées de “douleur” et de “plainte” [à la manière des Machines hystériques], notre but est de susciter l’empathie du spectateur pour ces “personnages” qui ne sont que des structures métalliques articulées. C’est pourquoi nous voulons souligner la puissance du simulacre en pervertissant la perception des animats, qui ne sont ni des animaux ni des humains, véhiculée par cet inévitable instinct propre à l’anthropomorphisme et à la projection des sensations internes, un réflexe déclenché par toute manifestation qui met nos sens au défi. ». L’interaction entre la machine et l’humain ne s’arrête pas là, de telle façon que tout deux peuvent se mettre à danser en harmonie. On peut voir cela avec Grace State Machines de Bill Vorn, et Transports exceptionnels de Dominique Boivin.
Depuis 1992, la chorégraphe Manon Oligny poursuit un parcours artistique en exposant impudiquement des corps d’hommes et de femmes qu’elle guide sciemment vers un dévoilement de leur intimité, notamment avec L’Education physique, ou plus récemment L’Ecurie, et prochainement Icônes à vendre, toujours avec la volonté de garder l’humain au cœur de la création. Si, selon ses dires, son apprivoisement face à la technologie a toujours été farouche, la découverte de nouveaux médiums lui a ouvert de nouvelles possibilités. Elle fonde en 1999, sa compagnie Manon fait de la danse dont le mandat depuis quelques années se “transdisciplinarise”. Manon Oligny n’en est pas en effet à sa première confrontation avec la technologie et à son intégration dans le domaine de la danse : depuis quelques années, elle travaille étroitement avec des collaborateurs d’autres disciplines en art numérique, dont en vidéo, littérature, photographie et cinéma au Québec comme à l’étranger, notamment avec Christine Angot, Nelly Arcan et Sophie Deraspe. En tant que chorégraphe, elle fut invitée à plusieurs reprises dans le cadre de résidence en France, en Belgique et au Portugal et à présenter ses recherches et pièces chorégraphiques dans le cadre de différents festivals.
Compositeur, musicien, DJ, designer sonore, physicien et propriétaire de ONO Records, Jan Pienkowski écrit et performe avec un son qui reflète ses expériences variées. Les productions de Jan sont ont été diffusées aux côtés d’artistes tels que Misstress Barbara, LSG, Max Graham, Ian Pooley, Chromeo, Noah Pred et Nuclear Ramjet ainsi qu’au sein de nombreux films. Les performances et projets de Jan lui ont permis de traverser l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud, l’Europe et l’Asie. Il est aussi très actif sur la scène montréalaise avec des participations à Mutek, Elektra, au Black & Blue, MEG, à la Nuit blanche, à Divers/Cité, Fantasia, au Festival du nouveau cinéma ainsi qu’à beaucoup d’autres festivals. Il a été impliqué dans le développement de divers projets de la SAT depuis 2004 incluant SAT[MixSessions], Domagaya, Cyclorama, PropulseArt ainsi qu’au centre de formation en arts technologiques SAT[TransForm].
L’événement WE ARE ROBOTS est produit par le label multidisciplinaire nouvellement créé ONOBOTS qui rassemble la musique, les arts graphiques, le cinéma et la performance, qu’elle soit musicale, visuelle ou de danse. Tous deux ont pour vocation d’explorer les thèmes de la science et de la technologie en général, des robots en particulier dans une optique artistique. Plusieurs désirs émergent de ce label, particulièrement celui de débuter un comic strip mettant en scène des robots dans un univers parallèle ou futur dominé par les robots, et explorant les différentes problématiques qui pourraient émerger de cette situation, vue des yeux d’un robot… Un projet de monter un film animé traitant de ces questions et utilisant les technologies avant-gardistes est même envisagé.